Le diagnostic de performance énergétique (DPE), censé être un pilier de la rénovation énergétique, est de nouveau dans la tourmente. Jugé flou, fragile et parfois même contre-productif, il a fait l'objet d'un rapport sans détour de la Cour des comptes, publié le 3 juin. Au menu : des critiques franches, des propositions musclées, et un appel à revoir sérieusement une réforme déjà bien mal engagée.
Un outil devenu central… sans les fondations solides
Depuis sa réforme de 2021, le DPE n'est plus un simple document informatif : il conditionne désormais la mise en location des logements. Résultat, les passoires thermiques (classes G) sont interdites à la location depuis janvier 2025, les F suivront en 2028 et les E en 2034. Le problème ? Ce fameux diagnostic est loin de faire l'unanimité.
La Cour des comptes pointe une méthode de calcul qui laisse trop de place aux approximations. Dans son rapport, elle souligne que les conditions de mesure varient trop, que les données manquent de fiabilité et que les diagnostiqueurs ne sont pas toujours assez formés. Bref, un outil qui devrait être une référence… mais qui manque encore clairement de fiabilité.
L'ampleur de la demande illustre cette montée en puissance chaotique : on compte aujourd'hui plus de 350 000 diagnostics réalisés par mois contre 120 000 en 2018 [1], soit une multiplication par trois en six ans. Cette explosion s'accompagne d'une croissance tout aussi spectaculaire du nombre de professionnels : le nombre de diagnostiqueurs immobiliers certifiés pour réaliser des DPE a augmenté de 46 % entre 2019 et 2023 [1]. Actuellement, 7 000 entreprises effectuent des diagnostics en France [2], mais cette croissance quantitative s'est faite au détriment de la qualité.
"Ça fait des années que les différentes associations pointent du doigt la problématique des formations" et également le "sérieux des différents diagnostics qui peuvent être réalisés", réagit David Rodrigues, juriste au sein de la CLCV. "Tous les ans, vous avez des études qui montrent qu'un même logement fait l'objet de différentes classifications, selon le diagnostiqueur qui passe".
Des pistes pour remettre de l'ordre
Pour corriger le tir, la Cour propose une série de mesures concrètes : création d'une carte professionnelle pour les diagnostiqueurs, contrôles annuels systématiques, séparation stricte entre la formation et la certification, et limitation géographique de certaines activités pour éviter les conflits d'intérêts.
La Cour des comptes préconise l'instauration d'une véritable "carte professionnelle" pour les diagnostiqueurs d'ici fin 2026, le renforcement de l'information du public sur les recours possibles et la mise en place des contrôles statistiques approfondis sur la cohérence des diagnostics.
Ces recommandations s'avèrent d'autant plus nécessaires que la Cour a constaté que "nombre d'organismes de formation et de certification ont entre eux des liens structurels ou financiers", créant de potentiels conflits d'intérêt. Cette situation explique en partie pourquoi la montée en puissance du secteur s'est accompagnée d'une dégradation de la qualité.
Des idées qui vont dans le sens des annonces faites en mars par la ministre du Logement Valérie Létard, avec un plan en dix points pour muscler la crédibilité du DPE. Parmi ses priorités : repérer les fraudes (estimées à 70 000 cas) et redonner de la clarté à un système jugé trop flou. La DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) a d'ailleurs relevé des anomalies dans 70 % des cas contrôlés en 2023 [2]. Ces anomalies concernent essentiellement des manquements au droit de la consommation : défaut d'information sur les prix, non-respect du délai légal de rétractation, ou encore présence de clauses abusives dans les contrats.
L'intelligence artificielle à la rescousse
Pour améliorer la détection des fraudes et incohérences, la Cour suggère notamment le recours à l'intelligence artificielle (IA) pour détecter des valeurs suspectes par rapport à la typologie des bâtiments. L'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) devrait approfondir ses analyses statistiques avec des méthodes d'intelligence artificielle afin d'être en mesure de déclencher des alertes pour d'autres formes d'incohérences telles que des systèmes de chauffage incohérents entre plusieurs appartements d'un même immeuble.
Du côté des start-ups, certaines comme CheckDPE et KRNO proposent déjà des outils de vérification en ligne, s'appuyant sur l'intelligence artificielle et les bases de données pour détecter les incohérences. Ces innovations technologiques pourraient bien devenir un élément clé de la fiabilisation future du dispositif.
La fiabilité ne suffit pas à faire taire les critiques
Mais le problème du DPE ne s'arrête pas à sa fiabilité technique. Plusieurs observateurs, comme l'institut IREF, vont beaucoup plus loin. Dans une tribune publiée le 3 juin, l'institut dézingue le DPE, qualifié d'outil « bancal » qui aggrave la crise du logement. En cause : des effets de bord mal anticipés et une mise en œuvre jugée trop brutale.
Depuis la réforme de 2021, l'offre locative a dégringolé : -22 % pour les logements bien classés (A à D), -33 % pour les F et G. Beaucoup de propriétaires, découragés par les contraintes imposées, ont préféré vendre ou retirer leurs biens du marché. Depuis janvier 2021, le nombre de passoires thermiques disponibles à la location a diminué de près de -64 %, contre -37 % pour les biens classés A à D [3]. Une situation qui pèse lourd sur un parc locatif déjà sous tension.
Cette transformation du marché se traduit concrètement par une différenciation des loyers selon l'étiquette énergétique. À Paris par exemple, au 1er janvier 2025, les logements classés A se louent en moyenne +3,0 € de plus par mètre carré que les logements classés D. À l'inverse, les biens classés G affichent un loyer mensuel inférieur de -1,3 € / m² à ceux classés D [3].
Une fracture entre ambitions écologiques et réalité du terrain
Le fond du problème, c'est qu'on a voulu faire du DPE un outil de transformation écologique, sans se donner les moyens de le fiabiliser. Résultat : une belle idée sur le papier, mais des conséquences bien moins maîtrisées sur le terrain.
L'impact sur les prix de vente est particulièrement révélateur de cette distorsion. En moyenne, les logements en vente classés F ou G accusent une décote de 15 %, soit environ –452 € / m² par rapport aux biens classés D [3,4]. Cette perte de valeur s'accompagne d'une marge de négociation accrue, atteignant 5,9 %, contre 3 % pour les logements classés D [3].
À l'échelle nationale, les données confirment une évolution différenciée des prix depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle méthode de calcul du DPE en juillet 2021. Les logements bien notés (A à D) ont vu leurs prix augmenter de +3,4%, tandis que les biens classés E ont légèrement reculé (–0,6%), et les logements F ou G ont chuté de –3,5% [3].
Paradoxalement, ces biens décotés suscitent plus d'intérêt : les annonces de logements classés G génèrent en moyenne +67 % de contacts en plus qu'un bien classé D, et celles classées F, +32 % [3]. Cette attractivité relative s'explique par des prix souvent plus accessibles, mais au 1er janvier 2025, les logements classés F ou G restent en moyenne 84 jours sur le marché, contre 79 jours pour ceux classés de A à E [4].
Les banques elles-mêmes s'en mêlent, en utilisant le DPE comme critère d'octroi de crédit, ce qui renforce encore son poids… et ses travers. Cette situation crée un véritable cercle vicieux pour les propriétaires de passoires thermiques.
Des difficultés particulières en copropriété
La mise en œuvre de la réforme de 2021, intervenue dans des délais contraints, n'a pas suffisamment anticipé les difficultés rencontrées par les particuliers pour s'y conformer, alors qu'elle a des conséquences majeures sur leur situation patrimoniale et le marché immobilier.
Les problèmes sont particulièrement aigus en copropriété, où les propriétaires se retrouvent souvent dans l'impossibilité de réaliser seuls les travaux nécessaires pour améliorer leur classement énergétique. Cette situation a d'ailleurs conduit le Sénat à proposer des assouplissements pour éviter une crise locative.
Un questionnement sur l'efficacité réelle
Au-delà des problèmes de fiabilité, la Cour des comptes va jusqu'à poser la question de l'utilité du document pour engager des travaux de rénovation énergétique et recommande un "pilotage global" du dispositif, afin de "mieux mesurer son impact sur les travaux effectivement réalisés".
Cette interrogation est cruciale dans un contexte où le marché immobilier traverse une crise majeure. Le volume de transactions de logements anciens atteint 778 000 transactions à fin novembre 2024, après 872 000 fin décembre 2023. La baisse annuelle est désormais de 12 % [5]. La tension sur le marché locatif amplifie ces difficultés, particulièrement dans les grandes villes universitaires où l'absence d'appartements à louer pénalise sérieusement les étudiants.
Le signal d'alarme est lancé
La Cour des comptes appelle donc à structurer toute la filière d'ici fin 2026, pour que ce diagnostic retrouve une légitimité dans les politiques de rénovation. Elle salue toutefois les efforts déjà réalisés par l'Ademe pour fiabiliser les diagnostics.
Ce nouveau rapport arrive à un moment charnière. Le marché immobilier est tendu, les tensions sur le logement ne faiblissent pas, et les passoires thermiques deviennent des boulets pour nombre de propriétaires. Dans ce contexte, continuer avec un DPE bancal pourrait bien faire plus de mal que de bien.
Entre les propositions de la Cour, les correctifs envisagés par le gouvernement et les critiques plus radicales de certains experts, la réforme du DPE est désormais sur la sellette. L'année 2025 s'annonce décisive : fin 2025 devrait amener une éclaircie sur le secteur de l'immobilier avec une baisse significative des prix et des taux de prêt immobilier sous les 3 % [6]. Cette perspective, conjuguée aux réformes en cours du DPE, pourrait-elle enfin réconcilier transition écologique et réalité du marché ?
Faute de vraie remise à plat, l'outil risque de devenir un symbole de plus d'une transition écologique mal calibrée, où les bonnes intentions ne suffisent pas à réparer les dégâts.
[1] Cour des comptes - La mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique
[2] franceinfo - Logements : la Cour des comptes pointe 70% d'anomalies dans les DPE
[3] Journal de l'Agence - DPE : quels impacts chiffrés sur les prix, les ventes et les locations ?
[4] MaisonAPart - DPE 2025 : Quel impact sur les prix de vente et les loyers ?
[5] Notaires de France - Marché de l'immobilier : tendances et évolutions des prix
[6] SeLoger - L'évolution de la crise immobilière en 2024 et 2025