Depuis quelques années, un acronyme un peu flou s’est invité dans les débats sur l’aménagement du territoire : ZAN, pour zéro artificialisation nette. Derrière cette formule technique, un objectif très concret : arrêter de bétonner des sols naturels, agricoles ou forestiers. Un changement de cap qui touche tout le monde, de la commune rurale à la métropole, du propriétaire foncier au futur acquéreur.
Mais entre intentions affichées et application sur le terrain, le chemin est semé d’embûches. Tandis que le Parlement se divise sur la méthode, la Région Bretagne avance, et montre qu’une mise en œuvre pragmatique est possible.
Le ZAN, c’est quoi exactement ?
Le principe est simple : à partir de 2050, chaque mètre carré artificialisé devra être compensé par une "désartificialisation" équivalente (réhabilitation de friches, végétalisation, retour à un usage agricole…). D’ici là, une étape intermédiaire impose de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) entre 2021 et 2031.
Pourquoi ce changement ? Parce que l’étalement urbain a un coût environnemental de plus en plus lourd : perte de biodiversité, fragmentation des habitats naturels, inondations plus fréquentes (les sols artificialisés absorbent moins d’eau), et baisse de la capacité agricole des territoires.
Ce que ça veut dire, concrètement, pour les particuliers :
Même si vous ne suivez pas les débats parlementaires, les décisions qui en sortiront auront un impact sur votre quotidien :
- Moins de foncier disponible : dans de nombreuses communes, les nouvelles zones à urbaniser seront gelées. Ce sera plus difficile (et souvent plus cher) de trouver un terrain pour construire.
- Des logements plus compacts : les villes seront poussées à densifier plutôt qu’étendre. Attendez-vous à plus de projets de réhabilitation, d’extensions verticales, de logements collectifs.
- Moins de zones commerciales en périphérie : les projets de centres commerciaux ou de parkings en rase campagne deviendront beaucoup plus rares.
- Des rénovations encouragées : l’idée est d' utiliser le bâti existant, y compris les friches et logements vacants. Des aides fiscales sont envisagées pour cela, comme des crédits d’impôt pour la remise en location de logements abandonnés dans les zones tendues.
Si vous êtes propriétaire d’un terrain nu ou d’un ancien bâtiment, cela pourrait aussi changer sa valeur et ses perspectives de revente ou d’aménagement.
Pourquoi ça coince au niveau national ?
La loi Climat de 2021 a lancé le mouvement, mais depuis, les textes se succèdent, les délais changent, et les règles sont parfois floues ou contradictoires. Résultat : les élus locaux ne savent plus toujours sur quel pied danser.
Deux visions s’affrontent au Parlement :
- Le Sénat a voté en mars une proposition de loi dite TRACE, qui veut assouplir les objectifs du ZAN. Les sénateurs dénoncent une vision trop rigide, peu concertée, et demandent une prise en compte des réalités locales, notamment pour les communes rurales où les marges de manœuvre sont déjà limitées.
- De l’autre côté, à l’Assemblée nationale, des députées comme Sandrine Le Feur (EPR) et Constance de Pélichy (Liot) défendent une approche plus stricte sur les objectifs, mais mieux outillée pour les collectivités. Leur proposition de loi, « Réussir la transition foncière », mise sur des outils fiscaux et fonciers adaptés, une meilleure gouvernance locale et des moyens renforcés.
Problème : le gouvernement n’a toujours pas tranché, et l’Assemblée nationale n’a pas inscrit ces textes à l’ordre du jour. Les élus s’impatientent. Les maires, eux, doivent pourtant continuer à avancer dans la révision de leurs documents d’urbanisme.
En Bretagne, on n’a pas attendu Paris
Alors que d’autres régions bloquent ou ralentissent, la Région Bretagne a décidé dès 2018 de lancer une concertation territoriale de grande ampleur (la Breizh COP). Résultat : un cadre clair, adapté à chaque territoire, basé sur des données objectives (croissance démographique, niveau de densification atteint, efforts passés, etc.).
Quelques points clés du modèle breton :
- 26 SCoT et la région ont travaillé ensemble pour fixer les règles du jeu. Pas d’imposition descendante.
- Un fonds de solidarité foncière a été créé pour absorber les projets d’intérêt régional (ex : équipements de santé ou de transport).
- Une nouvelle gouvernance régionale (CRG) permet aux élus locaux d’avoir leur mot à dire sur les règles, les outils, et le suivi.
C’est une démarche pédagogique, progressive et réaliste, saluée y compris par des parlementaires d’autres régions.
Les vrais enjeux pour les années à venir
Derrière le débat technique, trois grands enjeux sont en réalité au cœur de cette transformation :
- Le logement : beaucoup d’élus craignent que le ZAN aggrave la crise du logement, surtout dans les zones tendues. Le risque : ne pas construire là où c’est nécessaire, ou renchérir les prix.
- L’agriculture : la préservation des terres agricoles devient une priorité stratégique (souveraineté alimentaire, circuits courts). Mais cela suppose aussi de mieux accompagner les agriculteurs dans la gestion de leur foncier.
- L’économie locale : certaines activités (logistique, industrie, services publics) ont besoin d’espace. Il faut donc planifier intelligemment, sans sacrifier l’ambition écologique.
Ce que demandent les élus locaux
Les collectivités locales ne remettent pas en cause l’objectif de sobriété foncière. Mais elles réclament des moyens concrets :
- Stabilité juridique : que les règles ne changent pas tous les 18 mois.
- Fiscalité adaptée : aujourd’hui, les communes gagnent plus à construire du neuf qu’à rénover ou densifier. Il faut inverser la logique, en taxant davantage l’artificialisation, et en soutenant la préservation.
- Ingénierie locale : de nombreuses petites communes n’ont pas les moyens techniques ou humains pour piloter des projets complexes.
Certaines mesures sont déjà sur la table : suppression d’exonérations fiscales pour le neuf, nouveaux droits de préemption sur les sols naturels, création de taxes sur les friches industrielles… Mais rien n’est encore voté.
En résumé
Le ZAN, c’est une boussole pour repenser notre rapport au sol, à l’habitat et à l’environnement. Mais sans règles stables et outils adaptés, les meilleures intentions peuvent se transformer en casse-tête. La Bretagne montre qu’il est possible de concilier ambition écologique et pragmatisme territorial. Reste à espérer que le reste du pays saura s’en inspirer.